A propos de la congruence

Véronique, le 26 août 2017


Je partage ci-après l’article de SHEILA HAUGH à qui je suis fort reconnaissante de m’avoir éclairée sur ce concept rogérien dont je parle si souvent.. Le présent article, intitulé « La Congruence, une Confusion de Langage », publié initialement dans « PERSON CENTRED PRACTICE », le journal de BAPCA (British Association for the Person Centred Approach) est paru dans le n°17 de la revue « Mouvance rogérienne » en 1999. Son auteur, Sheila Haugh, est formatrice permanente à l’Institut for Person Centred Learning et pour le diplôme de Counselling centré sur la Personne à l’Institut Metanoia à Londres.

Cet article ayant pour sujet la pratique de la relation d’aide centrée sur la personne, il intéresse les thérapeutes et autres praticiens professionnels, mais je le crois utile autant à tous ceux qui accompagnent autrui, indépendamment de leur statut, fonction et formation… (V. A.)

 

Le concept de congruence, dans la théorie et dans la pratique centrée sur la personne, est au mieux mal compris et au pire mal interprété. La confusion qui règne concernant la signification exacte de « sincérité », « authenticité et « transparence » (mots souvent employés pour tenter de décrire la condition de congruence) y est pour beaucoup. L’influence de cette confusion de langage sur la pratique de la thérapie est directe et puissante.

Dans cet article, j’analyse la formulation théorique de la congruence et sa place dans la théorie centrée sur la personne. J’examine d’abord brièvement l’hypothèse que la congruence est une condition nécessaire à la relation thérapeutique dans d’autres approches, y compris l’Analyse Jungienne, l’Analyse Transactionnelle et la Thérapie Gestalt. J’essaye ensuite de clarifier le concept de la congruence en me référant à la théorie et à la pratique de la relation d’aide centrée sur la personne. J’explore ensuite les façons de communiquer la congruence et je suggère en conclusion que, dans la théorie centrée sur la personne, vérité, authenticité et transparence résultent de la congruence plutôt qu’ils ne la définissent.

Carl Rogers décrit la congruence chez le thérapeute : « L’expérience intérieure du thérapeute est disponible à sa conscience. Elle peut être vécue dans la relation et exprimée, si cela s’avère appropriée. De cette façon il y a un juste accord, ou une congruence, entre ce qui est éprouvé aux niveau des tripes, ce qui est présent à la conscience, et ce qui est exprimé au client. ». (C. Rogers, A Way of Being. 1980)

Les éléments d’expérience des processus internes du thérapeute lui sont accessibles à tout moment. Son expérience consciente n’est pas déformée et elle peut être exprimée à une autre personne, s’il l’estime opportune. Rogers avait clarifié cette notion dans des écrits précédents. L’état de congruence est un  »accord très proche » de l’expérience vécue avec ce qui est présent à la conscience, mais en même temps, dans cette expérience vécue, la personne est elle-même, « librement, profondément et de façon consentante, éprouvant effectivement ses sentiments et ses réactions et en possédant une conscience aiguë dans le temps même où ils apparaissent et se modifient. » II dit également que la symbolisation consciente du thérapeute doit être correcte.

En ce qui concerne les résultats de la thérapie, comme pour le processus du client, la congruence est un composant intégral de la théorie et de la pratique centrée sur la personne. Le fait que, dans une thérapie réussie, la congruence du client augmente, est explicite dans la théorie – même s’il ne s’agit pas d’un des buts de la thérapie. Dans les « sept étapes » du processus de Carl Rogers, la septième étape voit l’émergence d’un état de communication interne claire, où « les sentiments et leur symbolisation sont bien en accord. » Quand une personne fonctionne en utilisant davantage son potentiel, « elle peut éprouver tous ses sentiments et en a moins peur ». Accroître la congruence, en rapprochant l’expérience de la conscience, est considéré comme l’évolution vers ‘le fonctionnement à plein potentiel’ de la personne.

En thérapie, la congruence est une des célèbres « six conditions nécessaires et suffisantes » qui, lorsqu’elles sont présentes, libèrent le flux directionnel de la tendance actualisante. Il s’agit du « flux directionnel constructif de l’être humain vers un développement plus complexe. »

Dans une relation caractérisée par ces six conditions, la tendance actualisante innée d’une personne, jusqu’alors soumise à une valorisation conditionnelle et à un centre d’évaluation externe, évoluera dans une direction positive qui enrichit la vie.

La fonction de la congruence est analysée par Watson et Bozarth. Pour Watson « la congruence du thérapeute est une pré-condition pour qu’il éprouve une considération positive sans condition et de l’empathie envers le client ». Bozarth souligne cette idée: J’ai suggéré que la formulation théorique la plus importante de Carl Rogers affirme que les conditions de congruence, de compréhension empathique et de considération positive inconditionnelle sont profondément interreliées sur le plan théorique, mais que l’importance de la congruence ou de l’authenticité du thérapeute est avant toute chose de lui permettre de mieux éprouver les deux autres conditions (l’empathie et la considération positive sans conditions) envers le client. II s’ensuit que, bien que le thérapeute puisse être ressenti comme étant vrai et authentique, la fonction de sa congruence est de faciliter sa capacité à être empathique et avoir de la considération positive sans conditions pour le client.

Les six conditions essentielles, d’après l’hypothèse de Carl Rogers, sont nécessaires et suffisantes pour qu’un changement constructif de la personnalité puisse avoir lieu : « aucune autre condition n’est nécessaire. Si ces six conditions sont présentes et se prolongent dans le temps, elles sont suffisantes. » Si, d’après sa définition la plus simple, la congruence veut dire que l’expérience est disponible à la conscience, il semblerait que pour beaucoup d’autres approches de la relation d’aide, un tel concept est au moins nécessaire dans la relation thérapeutique.

Dans l’analyse Jungienne, le résultat voulu de la thérapie est que « le monde interne..,devienne disponible pour l’utilisation et… l’enrichissement ». Carvaiho écrit: « Il va de soi que le thérapeute a lui-même suivi une analyse approfondie et qu’il s’en sert ». On peut donc en déduire que pour un analyste Jungien son expérience – son monde interne – doit être disponible à la conscience. De façon similaire, dans l’Analyse Transactionnelle, « il s’ensuit que vous devez entrer en thérapie ou en relation d’aide quand vous réalisez que vous avez des problèmes personnels non résolus. »‘ Bien qu’il ne s’agisse pas d’une forte incitation pour que l’expérience soit disponible à la conscience (le thérapeute doit suivre une thérapie seulement s’il se rend compte « d’un problème personnel non résolu’), l’idée que le thérapeute doit être conscient de ses processus internes et en prendre acte est implicite.

La thérapie Gestalt « exige de la part du praticien une conscience importante, une connaissance de soi et de la responsabilité’. II s’agit d’un processus, le thérapeute devenant « conscient, de façon plus continue, de son propre vécu de sensations, de ressentis et de pensées dans l’instant ». Nous retrouvons ici l’exigence, pour le thérapeute, d’avoir son expérience disponible à la conscience. Et encore « la thérapie Gestalt n’est pas une approche qui peut être utilisée par une personne qui n’est pas à même d’être consciente de son propre processus.’ La thérapie Gestalt exige également du thérapeute qu’il « soit ouvert à l’idée de partager quelques-uns de ses propres sentiments et réactions ». Cela est également vrai pour les praticiens centrés sur la personne. Comme nous l’avons noté ci dessus, le vécu immédiat peut être partagé si cela s’avère opportun. Cela pose la question de « quand » ce partage pourrait s’avérer approprié. Bozarth propose ce que l’on peut considérer comme une règle de conduite la thérapie centrée sur le client ou centrée sur la personne est « une hypothèse fonctionnelle qui comprend des différences importantes, des façons uniques de faire des choses – et des manières « idiasyncratiques » de réagir… en ce qu’elles sont dédiées à la direction du client à son rythme et à sa façon d’être unique » (c’est moi qui souligne). Tout vécu immédiat peut être communiqué au client en tenant compte de ces paramètres. J’aimerais aussi ajouter que chaque relation avec un client est unique, ce qui élargit la gamme de différences et donc la palette de réactions, du thérapeute.

La question de savoir quand il est opportun de communiquer son expérience vécue est, en quelque sorte, une fausse question. Avant de savoir quand communiquer il est nécessaire de savoir ce que l’on voudrait communiquer. C’est ici, je crois, qu’une confusion du langage a joué un rôle important dans le malentendu concernant le concept de congruence. Le paragraphe de Rogers cité ci-dessus est précédé par une définition de la congruence : « Etre sincère, être vrai, ou être congruent… cela veut dire que le thérapeute vit ouvertement le flux des sentiments et des attitudes en lui dans l’instant … Le terme transparent rend bien la saveur de cette condition. « 

Ici Carl Rogers relie « sincérité« , « être vrai« , et « transparence » avec le concept de congruence. Un autre mot souvent utilisé dans ce contexte est « authentique » et il s’ensuit alors qu’il y a confusion en ce qui concerne ce qui est communiqué.

Lietaer essaye de clarifier ce point : « L’authenticité a deux aspects l’un intérieur et l’autre extérieur. La dimension intérieure se réfère au degré de conscience et de réceptivité avec lequel le thérapeute accède à tous les aspects de son propre flux expérientiel Nous appellerons cet aspect du processus « congruence » représentant l’unité totale de l’expérience et de la conscience. Le coté extérieur, quant à lui, se réfère à la communication explicite des perceptions, attitudes et sentiments conscients du thérapeute. Nous allons appeler cet aspect « transparence » : devenir transparent aux yeux du client en lui communiquant des impressions et des expériences personnelles. »

A première lecture, ce passage semble être aidant. Il définit la congruence en tant qu’expérience « interne » et explique également les différences entre « la transparence » et le concept de congruence. Cependant, à regarder de plus près, deux difficultés émergent. D’abord « l’authenticité » a remplacé la congruence en tant que condition fonctionnelle – la congruence est devenue une explication partielle de l’authenticité. Deuxièmement, il semblerait qu’on puisse être transparent vu de l’extérieur en communiquant, par exemple, l’accès conscient à « tous les aspects de son propre flux expérientiel ». D’après cette formulation la transparence peut exister sans congruence. Théoriquement, donc, être transparent n’impose pas nécessairement de remplir la condition d’être congruent dans la relation. Lietaer prévient, en effet, que « la distinction que nous avons faite entre congruence et transparence ne devrait pas être comprise en termes d’absolu ». Néanmoins, je crois que cette juxtaposition peut mener à une certaine confusion et avoir des conséquence pour la pratique, que j’analyserai plus loin.

L’exploration de l’utilisation du mot « transparence » conduit à un examen des autres termes utilisés dans le contexte de la congruence ; c’est à dire  » vrai », « sincère’ et « authentique ». Les significations de ces mots définis par le Collins Concise Dictionary (1983), comprennent respectivement – « pas artificiel ou simulé, authentique » – « pas faux ou contrefait, d’origine, vrai, authentique » « authentique, fiable, sûr ». Ces mots, pour la plupart, impliquent une façon d’être plutôt qu’une façon de faire. Qu’est-ce que peut faire une personne pour ne pas être artificielle ou ne pas être « simulée » ? Je suggère qu’elle ne peut qu’être ni artificielle ni simulée. Peut-être est-il possible de faire des choses pour démontrer qu’on est fiable et sûr. Par exemple, dans le contexte de la thérapie, (pour le thérapeute) être ponctuel, ne pas oublier les séances, etc. En gros, cependant, ces mots impliquent les qualités d’une personne plutôt que des attitudes acquises. Il serait plus facile de le voir s’il était possible d’imaginer un thérapeute qui ne correspondait pas à ces descriptions. Il serait artificiel, simulé, inauthentique ; faux, contrefait, pas d’origine ; pas vrai ; pas authentique.

Une des conséquences pour la pratique de la relation d’aide centrée sur la personne est que le thérapeute pourrait être encouragé à acquérir des comportements et des réactions guidés par l’intention d’être perçu par le client comme étant transparent, sincère et authentique. Cependant, c’est l’intention de faire coïncider la conscience avec le vécu immédiat qui remplit au plus juste la condition de congruence. Je crois que ce manque de clarté est, en partie, une conséquence de la confusion de langage dans les descriptions de la congruence.

Il y a quelque chose qui tient du paradoxe entre la définition et l’expression de la congruence. A un niveau optimum, toute l’expérience devrait être disponible à la conscience. Heureusement, d’après Carl Rogers: « Il n’est pas nécessaire (ni possible) que le thérapeute soit un parangon qui démontre ce niveau d’intégration, de globalité, dans chaque aspect de sa vie. Il est suffisant qu’il soit lui-même, de façon juste et précise pendant cette heure de cette relation … qu’il soit ce qu’il est vraiment, à ce moment-là. » Le paradoxe existe dans le fait que le thérapeute peut ne pas avoir toute son expérience disponible à sa conscience. Cependant, s’il existe une certaine qualité – ou état de correspondance et de concordance entre l’expérience et la conscience – il sera, très probablement, vécu comme étant authentique. C’est ici qu’il est possible de rentrer dans cette même confusion de langage qui, je crois, a embrouillé la condition de congruence. J’espère l’éviter, en affirmant que la sincérité, authenticité, vérité et transparence sont les résultats de la congruence plutôt que des définitions de la congruence. Plus l’expérience est disponible à la conscience, plus le thérapeute sera perçu comme sincère, authentique, vrai et transparent.

Une des implications pour la pratique de la relation d’aide centrée sur la personne réside dans le danger qu’une intervention thérapeutique vise à communiquer les résultats de la congruence plutôt que celle-ci en elle-même. A cause de cette confusion de définitions, certains thérapeutes essayent de faire passer leur authenticité, leur sincérité, et leur vérité plutôt que leur « experiencing » même. Cela peut provoquer, chez le thérapeute, des comportements tels qu’analyser le processus du client, lui indiquer le chemin ou se dévoiler de façon inappropriée. Il s’agit là d’activités qui ne sont pas généralement associées à la relation d’aide centrée sur la personne.

Les trois conditions de base – l’empathie, la congruence, la considération positive inconditionnelle décrivent l’expérience du thérapeute en relation avec le client. En théorie, le client n’a pas besoin de percevoir la congruence du thérapeute, seulement sa compréhension empathique et sa considération positive sans conditions. Il est également important de se rappeler que la relation d’aide centrée sur la personne est une approche unitaire basée sur la tendance actualisante. Les interventions du thérapeute comprennent l’empathie et la considération positive sans conditions – suivant la direction du client.

Bien que le thérapeute n’ait pas besoin de communiquer la congruence, je suggère qu’elle est, en fait, communiquée au client et que cette communication est perçue par lui. La parole est seulement une des manières que nous avons de parler de nous-mêmes. II existe plusieurs manières de communiquer avec le monde. Une des façons les plus connues est le langage du corps – la façon de se tenir, nos mouvements corporels, le contact des yeux, etc… Ces actions nous disent beaucoup de choses nous concernant, même si nous n’en sommes pas conscients. Pour la thérapie Gestalt « l’importance du corps… (est) primordiale, » il faut se centrer sur le comportement non-verbal et le travailler. Smith décrit des « conversations cachées » entre l’analyste et le patient. Il s’agit de narrations explicites parlant de sentiments et de pensées inconscients. Il n’est pas dans mon intention de suggérer que ces deux formulations, quand elles sont explorées en profondeur, sont en accord l’une avec l’autre, ou même qu’elles ont les mêmes bases philosophiques. Elles illustrent tout simplement le fait que la communication entre les êtres humains est souvent vécue comme étant diffuse et non verbale.

Il s’ensuit que la congruence, l’état dans lequel le vécu immédiat disponible à la conscience, est communiquée au client, que le thérapeute choisisse ou non d’expliciter verbalement un aspect de son expérience interne. Il sera perçu comme étant authentique si, en effet, il l’est – quelles que soient ses interventions explicites. Inversement le thérapeute sera perçu comme n’étant pas authentique si son vécu immédiat n’est pas disponible à sa conscience, ou si sa communication n’est pas en accord avec sa conscience.

Carl Rogers a parlé de « la complexité effective de ce concept » de congruence. Quelques-unes des complications sont inhérentes à la nature du concept. La congruence pourrait être décrite comme étant le voyage intérieur, alors que l’empathie et le regard positif inconditionnel sont un voyage extérieur vers « l’autre ». Le voyage intérieur au centre de soi peut être très douloureux, il n’est pas étonnant qu’il soit parfois évité. La congruence appelle le praticien centré sur la personne à explorer son propre monde, pour amener plus d’éléments d’expérience à la conscience. Il s’agit plutôt d’un état d’être que de faire. Dans cet état d’être, il sera vécu par l’autre comme incarnant les résultats de la congruence – comme étant authentique, sincère, transparent et vrai.

 

 

 

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