Mot clef : autonomie

Commentaires fermés

L’autonomie relationnelle ?

Véronique, le 09 mai 2011

Apprendre à « se débrouiller » dans sa vie relationnelle !

Comprendre l’interdépendance et mieux vivre ses relations en développant une affirmation de soi respectueuse de l’autre, c’est une affaire d’éducation …

(Article paru dans le « Journal des Professionnels de l’Enfance », juillet/août 2005)

 

Lorsqu’on parle d’autonomie, dans un contexte éducatif, ce terme évoque des situations d’enfant parvenant à se débrouiller seul, et renvoie à des attitudes parentales ou professionnelles qui visent à développer ses propres ressources : pour apprendre à se passer d’autrui pour les actes du quotidien. Il est plus rare qu’on associe ce concept à la vie relationnelle; d’ailleurs comment pourrait-on se passer d’autrui en relation ? L’autonomie relationnelle, pourtant, doit être au coeur de nos réflexions de pédagogue, car elle est liée à la notion tout aussi complexe de responsabilité personnelle.

Etre attentif à ses ressentis

Une définition simple: une personne autonome est capable d’agir par elle-même pour répondre à ses besoins. Nous pensons souvent à développer chez l’enfant sa capacité d’agir, mais moins sa capacité à connaître ses besoins et à se faire confiance pour les satisfaire. Dès le jeune âge, pensons à l’inviter à sentir ce qui se passe en lui: Qu’éprouve-t-il ? Quelle émotion ressent-il ? Quel besoin cela lui indique-il ? Cette attention à lui-même, à ne pas confondre avec l’égocentrisme, va l’aider à devenir davantage acteur de sa vie, puisqu’elle lui permet de réagir pour satisfaire ses besoins. S’il n’y est pas suffisamment encouragé et entraîné, il va grandir et savoir faire face en apparence, mais sans l’assurance interne de bien sentir ni de bien faire, et peut-être dans le doute et la peur de n’être pas approuvé ou pas conforme. Il risque de rester en demande de repères et en attente que l’autre confirme, rassure, comble… C’est donner trop de place à l’autre, c’est ne pas assez prendre la sienne !

Prendre le risque de s’affirmer, oser être soi et se montrer soi face à l’autre, suppose d’avoir acquis une confiance en soi et une solidité intérieure, et donc d’avoir été accompagné dans ce sens le plus tôt possible…

 

Développer sa vigilance relationnelle

Formatrice en développement de l’efficacité relationnelle, j’anime depuis des années des groupes de professionnels de l’enfance, de la santé, de l’éducation, de l’animation, ainsi que des ateliers pour parents, afin de renforcer leurs compétences, en tant que responsables d’autrui, à aider autrui à devenir responsable… Elever des enfants, soigner, enseigner, éduquer, c’est accompagner surtout par la relation, et donc instaurer un type de relation déterminante: une relation où chacun respecte l’autre et se respecte soi.

Devenir responsable, c’est se prendre en main, s’apporter des réponses, se gérer.  Donc prendre des décisions concernant ses besoins, ses désirs, en fonction de ses valeurs, pour atteindre ses objectifs… Cela signifie s’en reconnaître le droit, se sentir autorisé pour s’autoriser soi-même, et être ainsi l’auteur de sa vie.  Nous travaillons dans ces formations à mieux choisir nos comportements relationnels au quotidien, pour qu’ils soient en cohérence avec nos intentions pédagogiques : que montrent -ils  à l’enfant comme références, que lui permettent-ils d’être, que l’invitent-ils à vivre comme qualité d’échanges ? Quel modèle relationnel proposons-nous ?

Par exemple, face à la colère de l’enfant: L’adulte mécontent qui désapprouve en le censurant dans son expression risque de lui faire croire qu’il n’a pas le droit d’être en colère ! (Exemple: « Arrête ! Ça suffit ! Quelle vilaine colère ! Tu n’es pas beau quand tu fais cette tête ! C’est méchant de jeter des cubes sur les autres, Tu devrais avoir honte de faire des colères comme ça pour un simple jeu ! ) Or cette colère, il la ressent, c’est sa réalité intérieure, elle a du sens ! il ne peut ni l’effacer ni la nier. Ce qui nous contrarie, c’est la façon agressive dont il l’exprime, et là, notre rôle est d’éduquer, de canaliser, d’empêcher même un comportement inacceptable. Il serait alors plus juste de dire : « Je vois bien que tu es furieux, tu es en colère car tu n’arrives pas à finir ce jeu,  mais tu es en train de jeter des cubes partout et je ne suis pas d’accord: ça peut faire mal aux autres enfants! »…Faire cette différence est important dans le positionnement parental ou éducatif, car on autorise la colère sans permettre le débordement : on lui apprend à l’enfant à reconnaître son émotion sans la laisser prendre le dessus, sans perdre le contrôle de lui-même… S’il peut recourir à ses émotions, telle que la colère dans cet exemple, pour sentir qu’il est utile de se protéger ou de se défendre, il évitera de subir et de se soumettre… Et s’il a aussi appris, lorsqu’il ressent sa colère, à communiquer son insatisfaction au lieu de hurler ou frapper, il évitera d’exploser, et de commettre des dégâts relationnels parfois irréparables.

Notre réaction face à son émotion est donc éducative à long terme en matière de relation à soi et à l’autre. Les éducateurs et les parents le savent, et sont souvent en accord avec ces principes, mais ne parviennent pas pour autant à les appliquer: malaise, culpabilité.. Nous travaillons alors à renforcer aisance et confiance, s’assouplir, à devenir facilitateurs de la communication, notamment en identifiant les freins, les limites intérieures… Nous-même, en tant que parent, professionnel, éducateur, enseignant, qu’en est-il de notre autonomie relationnelle? Quelle représentation avons-nous de notre responsabilité personnelle au sein de notre famille, de notre équipe, de notre couple ? Comment acceptons-nous nos émotions pour affirmer nos besoins ? Comment comprenons-nous l’interdépendance ?

Comprendre l’interdépendance

Grandir, c’est se libérer de la dépendance aux adultes, aux parents notamment, et cette volonté de s’affranchir de leur pouvoir et de leur influence, qui caractérise l’adolescence, forme une étape de contre-dépendance où le jeune s’oppose à tout ce qui semble l’entraver dans le développement de son identité propre. Mais s’il accède enfin à cette indépendance dont il rêve, et c’est déjà une immense conquête que d’y parvenir, elle se situe au niveau matériel (subvenir à ses besoins signifie gagner sa vie, décider, s’organiser, se loger, se nourrir, etc…)

Par contre, au niveau relationnel, on ne parle pas d’indépendance mais d’interdépendance. Car chacun a besoin des autres pour être aimé, être soutenu, être reconnu, et ce besoin est mutuel.

Si le jeune se détache peu à peu de sa famille, c’est pour mieux s’attacher ailleurs: il se libère pour se rendre disponible… Selon son expérience intime et familiale, il envisage avec plus ou moins d’élan, d’espoir ou d’angoisse ses futures relations affectives, et certains freinent longtemps avant de s’engager, au nom de leur volonté d’indépendance ! Résister ainsi montre que l’étape de contre-dépendance n’est pas dépassée: on veut pouvoir apprécier l’autre qui nous attire, en profiter même, mais en restant distant pour éviter les liens, en niant ce qui pourrait nous rapprocher ou rattacher trop … comme s’il fallait se durcir pour se protéger de l’autre.

D’autres au contraire se précipitent vers de nouvelles relations avec avidité, prompts à donner beaucoup pour recevoir autant, avec tellement de passion mais aussi de confusion qu’ils semblent s’y dissoudre, dans une fusion peu constructive. Après l’échec fréquent de ce type de relation dont il est douloureux mais vital de s’arracher, la quête continue alors, de dépendance en dépendance…

Vivre des relations où chacun prend sa place et peut satisfaire ses propres besoins à la juste distance pour s’accomplir , cela semble pour beaucoup un idéal inaccessible. On exprime ce désir, mais on ne cherche pas vraiment à l’atteindre, car au fond: on n’y croit pas ! Nous sommes élevés dans ce rêve, mais nous ne sommes pas éduqués concrètement dans ce but. Il n’y a pas d’éducation véritable à la relation et à l’autonomie relationnelle, si ce n’est l’imprégnation durant l’enfance, parmi nos proches, en observant, testant, modélisant…. Il est rare d’être préparé et accompagné pour atteindre une interdépendance assumée et épanouissante.

Le premier pas est peut-être de comprendre ce que signifie l’interdépendance. Il s’agit de reconnaître ce besoin d’autrui inévitable que nous éprouvons tous et de savoir qu’il ne nous réduit pas pour autant à dépendre complètement de l’autre, puisque nous restons en capacité de penser et d’agir par soi-même. C’est à dire capable de s’affirmer face à l’autre sans rompre le lien avec lui, capable de refuser ce qui ne nous convient pas sans rejeter la personne, capable de se défendre sans agresser, capable de se faire respecter tout en gardant une attitude respectueuse vis à vis de lui… Cette capacité est liée à notre liberté intérieure (se sentir le droit ) et à notre communication (savoir l’exprimer). Cette capacité relationnelle s’acquiert et se développe…

La capacité à exister en tant que soi-même face à l’autre, aux côtés des autres, ou mieux : avec l’autre, cela s’apprend. L’idéal est de l’apprendre au quotidien dans l’enfance, mais sinon, plus tard, en formation !

Désamorcer les pièges du langage pour mieux s’affirmer

Accepter et bien vivre cette interdépendance suppose de comprendre comment elle fonctionne, comment ce lien de besoins mutuels peut se vivre dans le respect mutuel, et surtout comment faire concrètement.

Notre langage, qui structure nos relations et nos façons d’appréhender le monde, qui est aussi notre principal outil éducatif, révèle que ces belles conceptions sur la responsabilité personnelle restent théoriques: au quotidien, nous exprimons une autre réalité intérieure.. Par exemple, lorsque nous affirmons :  » Mon collègue m’exaspère, ce stagiaire m’agace,  la chef de service m’oppresse, ma fille m’inquiète,  » etc… C’est bien mal reconnaître qui est aux commandes ! Cela révèle notre fragilité et notre réactivité à l’influence d’autrui mais en sous-estimant notre part active aux processus et aux émotions que nous éprouvons….

Pour reprendre l’exemple de la colère, si la personne est persuadée que c’est son partenaire qui l’a mise en colère, que c’est donc l’autre qui l’a provoquée, c’est lui le responsable ! Ce n’est plus elle ! C’est lui qui a le pouvoir de la mettre en colère avec ses mots, son regard, son attitude insupportable… C’est alors légitime de lui en vouloir, d’exiger qu’il change, d’attendre de lui qu’il soit plus respectueux ! de l’agresser même… Lui attribuer cette responsabilité, c’est lui attribuer du pouvoir bien plus qu’il n’en a, c’est dépendre de lui (je me sens calme s’il est conciliant, je suis irritable parce qu’il est désagréable.).. Or ce partenaire ne fait que déclencher cette émotion par ses actes, il n’est pas responsable de ce qui se passe à l’intérieur, ni de l’incapacité à de gérer ce qui en sort, sur le coup de la colère… Mais à le dire ainsi, je finis par le croire, c’est la force du langage : habitude de parler, habitude de penser !

Imaginons l’enfant à qui sa mère s’adresse: »Tu me mets en colère, tu m’énerves! « , cela signifie littéralement qu’il a la capacité d’énerver sa mère, qu’il contrôle donc les émotions de sa mère, tandis qu’elle subit, incapable de rester calme s’il l’énerve… Il tombera à son tour dans le piège sémantique: en accusant sa soeur d’être énervante, et en la croyant vraiment à l’origine de ce qu’il ressent, il ne fera pas d’efforts pour être conciliant: c’est à elle d’arrêter de l’énerver ! Ce déplacement de responsabilité le met en attente du changement de l’autre, en dépendance donc, et même en exigence qu’il change: C’est à l’autre de s’adapter ! Puisqu’on dépend de lui : à lui d’être conforme à nos besoins…

A la place de « tu me mets en colère », apprendre à s’affirmer en assumant notre part: « je suis en colère quand tu te comportes ainsi« , c’est une affaire de vigilance pour formuler avec justesse, et c’est parfois une rééducation salutaire pour se réapproprier sa vie, ses sentiments, son rôle.

L’étape « affirmation de soi » est attendue avec impatience en formation, car elle détermine notre impact pédagogique, notre autorité éducative, et tout simplement notre aisance relationnelle … Utiliser le « Je » non pas à tout propos, mais à bon escient, et ne pas confondre qui est responsable de quoi… Je ne peux développer ma capacité d’affirmation et prendre ma place que si je prends part à ce qui se passe. Pour se débrouiller, négocier, coopérer, chercher des modes de fonctionnements respectueux de chacun, il me faut m’autoriser, me reconnaître un part suffisante de responsabilité et de liberté, envisager ma marge de manoeuvre pour l’utiliser, oser, dire, agir… C’est cet enjeu personnel dont on prend conscience dans les formations, et qui est libérateur de compétences: j’observe à chaque fois combien les participants qui s’entraînent se sentent heureux de percevoir cette ouverture, cet élan, cette tranquille solidité aussi, face à l’autre quand on ose exprimer avec respect mais avec fermeté ce qui est important pour soi….

En travaillant à partir de cas relationnels concrets avec les proches, parents, collègues, enfants, où il s’agit de se faire entendre, comprendre, et en même temps de comprendre comment l’autre réagit à nos propos, nous renforçons des attitudes professionnelles plus ajustées, plus efficaces, et plus confortables aussi. Ces attitudes au quotidien sont pédagogiques puisqu’elles vont permettre la croissance relationnelle de ceux qui nous sont confiés, tout en étant une occasion de croissance personnelle…

Pour apprendre aux autres à se débrouiller dans leur vie relationnelle, il s’agit d’y parvenir soi-même avec eux, de s’entraîner ensemble à l’autonomie de chacun… Etre suffisamment autonome face à l’autre pour ne plus subir ce qui l’arrange ni lui imposer ce qui m’arrange… et chercher alors la coopération réelle. Ainsi l’exprime Thomas GORDON qui a formulé l’esprit « gagnant-gagnant » avec la simplicité et la force qui caractérisent ses ouvrages au service du grand public (Parents efficaces):  » Toi et moi vivons une relation que j’apprécie et que je veux sauvegarder. Cependant, chacun de nous demeure une personne distincte ayant des besoins propres et le droit de les satisfaire.. » .( Lorsque surgit un conflit)  » je ne veux pas perdre en te laissant gagner, je ne veux pas gagner en te faisant perdre…. »

Véronique ANDRES